J’ai bien reçu les deux sacs de riz séché que vous m’avez fait parvenir. Le riz peut sembler peu de chose, mais c’est pourtant le support de la vie humaine. Et le Bouddha dit que la vie ne peut pas s’acheter, même pour le prix d’un système entier de mondes majeurs.
Le riz alimente la vie. Il est comme l’huile qui nourrit la vie d’une lampe. Le Sūtra du Lotus est une lampe, et son pratiquant l’huile qui l’alimente. Les croyants laïcs sont aussi l’huile qui alimente la lampe qu’est le pratiquant [Nichiren].
Parmi l’ensemble des cent saveurs, celle du lait de vache est la meilleure. Il est dit dans le septième volume du Sūtra du Nirvana : « De toutes les saveurs, la meilleure est celle du lait. » Quand on traite le lait, il se transforme en crème et, quand on traite la crème, elle finit par se transformer en ghee1. Parmi les cinq saveurs2 que l’on peut obtenir par ce processus, le ghee est la meilleure.
Si l’on se sert de ces cinq saveurs comme de métaphores pour désigner les divers enseignements bouddhiques, on pourrait dire que les trois mille volumes des enseignements confucéens et les dix-huit écrits majeurs des enseignements brahmaniques correspondent aux saveurs des aliments ordinaires. Par comparaison avec ces derniers, même les sūtras Agama sont comme la saveur du ghee.
[Parmi tous les enseignements bouddhiques,] les sūtras Agama sont comparables à la saveur du lait ; le Sūtra de la méditation et les autres sūtras de la période Vaipulya à la saveur de la crème ; les sūtras de la Sagesse à la saveur du lait caillé ; le Sūtra de la Guirlande de fleurs à la saveur du beurre ; et le Sūtra aux sens infinis, le Sūtra du Lotus et le Sūtra du Nirvana à la saveur du ghee.
De plus, si l’on compare le Sūtra du Nirvana à la saveur du ghee, alors on peut comparer le Sūtra du Lotus au seigneur qui régit les cinq saveurs. Ainsi, le Grand Maître Miaole déclara : « Si nous abordons ce sujet à partir des doctrines enseignées, alors le Sūtra du Lotus se révèle le véritable seigneur de tous les enseignements, puisque lui seul enseigne “à ouvrir le provisoire pour révéler le lointain”. De ce fait, lui seul est habilité à comporter le mot myō ou “merveilleux” [dans son titre]3. » Il dit aussi : « C’est à cela que nous comprenons que le Sūtra du Lotus est le véritable seigneur du ghee4. »
Ces passages de commentaires soulignent à juste titre que le Sūtra du Lotus ne figure pas parmi les cinq saveurs. Le sens profond de ces passages est que les cinq saveurs nourrissent la vie, mais que la vie elle-même régit l’ensemble des cinq saveurs.
L’école Tiantai énonce deux opinions à ce sujet. La première consiste à dire que le Sūtra de la Guirlande de fleurs, les sūtras Vaipulya, les sūtras de la Sagesse, le Sūtra du Nirvana et le Sūtra du Lotus sont tous comparables à la saveur du ghee. Cette opinion semble fondée sur l’idée que les sūtras enseignés avant le Sūtra du Lotus et le Sūtra du Lotus lui-même sont de nature similaire. Les érudits de notre époque ne sont familiarisés qu’avec cette vue, et ignorent la doctrine selon laquelle le Sūtra du Lotus est le seigneur des cinq saveurs. C’est pourquoi ils se laissent tromper et égarer par les autres écoles bouddhiques.
La [première] opinion consiste donc à dire que le Sūtra du Lotus et les autres sūtras diffèrent dans leur capacité à ouvrir et inclure les moyens opportuns ou non, mais qu’ils représentent tous l’enseignement 995parfait5 : cette doctrine correspond à l’enseignement théorique. Par contre, la [seconde] opinion consiste à dire que les divers sūtras mentionnés précédemment représentent les cinq saveurs alors que le Sūtra du Lotus représente le seigneur des cinq saveurs — cette doctrine correspond à l’enseignement essentiel. Elle fut abordée par Tiantai et Miaole dans leurs écrits, mais n’a pas été clairement énoncée. C’est pourquoi rares sont les érudits qui en ont conscience.
Dans le passage des commentaires de Miaole que je viens de citer, les mots « si nous abordons ce sujet à partir des doctrines enseignées » font référence au Daimoku, ou titre du Sūtra du Lotus, comme le signifie l’expression « les doctrines enseignées ». Les mots « ouvrir le provisoire » correspondent au caractère « ge » dans le Daimoku en cinq caractères, Myōhō-renge-kyō. Les mots « révéler le lointain » correspondent au caractère « ren » dans le Daimoku en cinq caractères. Les mots « De ce fait, lui seul est habilité à comporter le mot “myō” » correspondent au caractère « myō ». Et « C’est la raison » indique que, quand nous présentons le Sūtra du Lotus comme l’essence des enseignements dispensés par le Bouddha, c’est au Daimoku du Sūtra du Lotus que nous pensons. Il faut donc comprendre que le Daimoku du Sūtra du Lotus représente l’âme de tous les sūtras ; il représente l’œil de tous les sūtras.
Le Sūtra du Lotus devrait en toute logique être utilisé dans les cérémonies d’ouverture des yeux pour en garantir l’efficacité. Mais c’est au contraire le Sūtra de Mahavairochana et les autres sūtras qui sont employés dans ces cérémonies d’ouverture des yeux de toutes les images des bouddhas, peintes ou en bois. Par conséquent, toutes les représentations du Bouddha qui figurent dans les temples et les pagodes du Japon, même si elles offrent l’apparence d’un bouddha, n’en incarnent pas vraiment l’esprit. Elles ont plutôt l’esprit des êtres ordinaires des neuf [premiers] états. Ainsi s’est instaurée la coutume consistant à révérer des maîtres ignorants comme si c’étaient des sages.
De telles pratiques ne servent qu’à dilapider les réserves du pays et ne produisent pas des prières efficaces. Au contraire, les bouddhas sont ainsi transformés ; ils se changent en esprits maléfiques et en démons, ce qui provoque le désespoir du souverain du pays et de son peuple.
Et aujourd’hui, du fait de l’apparition du pratiquant du Sūtra du Lotus et de ses partisans laïcs, les gens se comportent comme ces multiples espèces de bêtes sauvages qui détestent le roi lion ou comme les plantes et les arbres qui tremblent devant le vent glacial. Mais je n’en dirai pas davantage pour l’instant.
En quoi le Sūtra du Lotus est-il supérieur aux autres sūtras ? Pourquoi est-il bénéfique pour les êtres vivants ?
Les plantes et les arbres, par exemple, ont la terre pour mère, le ciel pour père, les pluies douces pour nourriture, le vent pour esprit, et le soleil et la lune pour nourrice, et c’est ainsi qu’ils se développent jusqu’à maturité, fleurissent et produisent des fruits. De la même manière, tous les êtres vivants ont la réalité ultime [de tous les phénomènes] pour terre, la réalité dénuée de caractéristiques [ou de marques]6 pour ciel, le Véhicule Unique pour pluie douce et la déclaration que le Sūtra du Lotus est le plus important de tous les sūtras que le Bouddha a prêchés, prêche ou prêchera7, pour vent puissant. « Ayant le pouvoir de la méditation et de la sagesse8 », pour soleil et pour lune, ils entretiennent les bienfaits de l’illumination parfaite, font apparaître les fleurs de la grande bienveillance et de la grande compassion et produisent le fruit paisible de la bouddhéité. C’est ainsi que tous les êtres vivants sont nourris.
De plus, c’est le fait de manger qui les maintient en vie. Il y a toutes sortes de nourritures. Certains êtres se nourrissent de terre, d’autres d’eau, d’autres mangent 996du feu et d’autres du vent. L’insecte appelé kalakula se nourrit de vent, alors que l’animal qui porte le nom de taupe se nourrit de terre. Il est aussi des divinités-démons qui mangent la peau et la chair des hommes, leurs os et leur moelle, d’autres qui se nourrissent d’urine et d’excréments, d’autres qui mangent les vies et d’autres encore les voix. Certains poissons mangent des pierres et le baku9 se nourrit de fer. Les divinités terrestres et célestes, les dieux dragons, les dieux du soleil et de la lune, les dieux célestes Shakra et Brahma, les êtres des deux véhicules, les bodhisattvas et les bouddhas goûtent et savourent la Loi bouddhique dont ils font leur corps et leur esprit.
Laissez-moi vous donner un autre exemple. Autrefois vivait un grand roi nommé le roi Rinda, monarque vertueux qui régnait sur tout le continent du Jambudvipa. Or, de quoi vivait ce roi ? Quand il entendait le hennissement de chevaux blancs, son corps en était nourri et il se développait. Le corps et l’esprit ainsi reposés et sereins, il pouvait gouverner son royaume. On pourrait comparer cela à ces créatures que l’on appelle des grenouilles qui grandissent en écoutant les coassements de leur mère ; au trèfle, dans les champs de l’automne, qui fleurit en entendant bramer le cerf ; au palmier à ivoire10 qui bourgeonne en entendant le son du tonnerre ; ou à la grenade qui fleurit au contact d’une pierre.
Cela étant, le roi Rinda avait rassemblé et pris sous sa protection un certain nombre de chevaux blancs. Et, comme ces chevaux blancs ne hennissaient qu’à la vue de cygnes blancs, il réunit aussi un certain nombre de ces cygnes dont il s’occupa pareillement. De ce fait, non seulement le roi goûta paix et tranquillité, mais les centaines de ministres et les milliers de serviteurs à son service connurent aussi la prospérité. Dans tout le royaume, le vent et la pluie se déclenchaient à la saison appropriée et les autres pays se soumettaient avec docilité. Cette situation perdura un certain nombre d’années.
Mais, peut-être en raison d’une erreur commise dans l’exercice de son pouvoir ou parce que les rétributions positives résultant de son karma étaient épuisées, les cygnes blancs, par milliers et dizaines de milliers, disparurent soudain et les innombrables chevaux blancs cessèrent de hennir. Et, faute de pouvoir entendre leur hennissement, le roi devint comme une fleur qui se fane ou comme la lune qui s’éclipse. Sa peau changea de couleur, ses forces déclinèrent, les six organes de ses sens s’engourdirent et se voilèrent, et il devint pareil à un vieillard sénile. Son épouse vieillit et s’affaiblit aussi. Les centaines de fonctionnaires et les milliers de serviteurs se lamentèrent, sans savoir que faire. Les cieux s’assombrirent, la terre trembla, ouragans et sécheresses apparurent, la famine et les épidémies sévirent. Il y eut tant de morts que les corps s’empilaient jusqu’à former des monticules et les os s’entassaient comme des tas de tuiles. De plus, le royaume subit les attaques d’autres pays.
À ce moment-là, le roi, éploré, se demanda comment agir et en conclut que son seul recours était de prier les bouddhas et les dieux. Depuis les temps anciens, certains en son royaume croyaient dans les enseignements non bouddhiques ; on les trouvait en nombre dans beaucoup de régions de son territoire. Nombreux aussi étaient ceux qui honoraient les enseignements du Bouddha et les considéraient comme un trésor pour le pays. Déclarant qu’il honorerait les enseignements du groupe qui parviendrait à attirer les cygnes blancs et, ainsi, à faire hennir les chevaux blancs, le roi ordonna d’abord aux croyants non bouddhistes de montrer l’efficacité de leurs enseignements. Mais ils eurent beau rassembler leurs efforts pendant plusieurs jours, pas un seul cygne blanc n’apparut et les chevaux blancs ne hennirent pas.
Le roi ordonna alors aux non-bouddhistes de cesser leurs prières et aux bouddhistes d’essayer les leurs. À cette époque-là 997vivait un jeune moine connu sous le nom de bodhisattva Ashvaghosha, ou Hennissement-de-Cheval. Quand il fut convoqué devant le roi, il dit : « Si Votre Majesté interdit les doctrines erronées des non-bouddhistes de tout le royaume et œuvre à propager les enseignements du Bouddha, il sera assez facile de faire hennir les chevaux ! »
Le roi promulgua un édit en ce sens. Puis le bodhisattva Ashvaghosha adressa des prières aux bouddhas des trois phases de l’existence [le passé, le présent et l’avenir] et des dix directions et un cygne blanc apparut aussitôt. Quand les chevaux blancs l’aperçurent, ils hennirent à l’unisson. À peine le roi eut-il entendu ce simple hennissement qu’il ouvrit les yeux. Lorsque deux cygnes blancs, suivis de centaines, de milliers d’autres apparurent, les chevaux blancs, par centaines et milliers, furent aussitôt transportés de joie et se mirent à hennir. Le roi retrouva alors son teint normal, comme le soleil réapparaît après une éclipse, et sa force physique et ses facultés de perception devinrent des centaines et des milliers de fois supérieures à ce qu’elles étaient auparavant. Son épouse exulta, les grands ministres et les hauts dignitaires reprirent courage, les gens ordinaires joignirent les mains en signe de révérence et les pays voisins s’inclinèrent respectueusement.
La situation dans le monde d’aujourd’hui n’est en rien différente. La période correspondant aux sept règnes des divinités célestes et aux cinq règnes des divinités terrestres, soit aux douze premiers règnes de l’histoire du Japon, était comparable au kalpa de formation. Le pouvoir des mérites et le pouvoir de la pratique de l’observation des préceptes dans les existences passées avaient permis d’accumuler tant de force que, bien que les gens de cette époque n’aient pas fait beaucoup d’efforts dans le sens de la bonté, le pays était encore bien gouverné et les gens bénéficiaient d’une grande longévité.
Vint ensuite la période des souverains humains11. Durant les vingt-neuf premiers règnes, le pouvoir obtenu par l’observation des préceptes dans les existences passées commença à s’affaiblir. Les affaires du gouvernement marchaient mal et, pour la première fois, le pays fut confronté aux trois calamités12 et aux sept désastres13. Mais les textes décrivant comment les trois souverains et les cinq empereurs des temps anciens avaient gouverné le monde furent alors introduits de Chine, et ceux-ci purent être utilisés pour honorer les dieux et surmonter les calamités et les désastres qui s’abattaient sur le pays.
Quand l’empereur Kimmei [539-571], trentième souverain humain, accéda au trône, le pouvoir provenant des bienfaits et de l’observation des préceptes s’était encore affaibli dans le pays. Apparurent alors de nombreuses personnes à l’esprit dominé par le mal. Les bons esprits s’affaiblissaient et les mauvais esprits prévalaient. Les enseignements contenus dans les textes confucéens se révélèrent si dépourvus d’efficacité et le poids des fautes des gens si grand que les textes confucéens furent abandonnés et les gens se tournèrent alors vers les écrits bouddhiques.
Ainsi, Moriya vénéra les nombreux dieux apparus durant les sept règnes des divinités célestes et les cinq règnes des divinités terrestres, priant pour que les enseignements bouddhiques ne se propagent pas et pour que les textes confucéens soient honorés comme auparavant. Par contre, le prince Shōtoku prit le bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, comme objet de vénération, et adopta pour lui-même le Sūtra du Lotus et les autres sūtras. Les deux partis rivalisèrent pour la suprématie mais, finalement, les dieux furent vaincus, le Bouddha en sortit victorieux et, exactement de la même façon qu’en Inde et en Chine, la terre des dieux devint pour la première fois terre de Bouddha. Le passage de Sūtra où l’on lit « ce monde des trois 998plans est aujourd’hui mon domaine14 » était en passe de se concrétiser.
Durant plus de vingt règnes, entre l’empereur Kimmei et l’empereur Kammu, soit pendant une période d’au moins deux cent soixante ans, le Bouddha fut considéré comme le souverain, et les dieux comme ses ministres. C’est ainsi que le monde fut gouverné. Mais, bien que les enseignements bouddhiques aient occupé une place supérieure et les dieux une place inférieure, le monde n’était pas bien gouverné.
Les gens commencèrent à se demander pourquoi et, sous le règne de l’empereur Kammu, apparut un sage connu sous le nom de Grand Maître Dengyō, qui se pencha sur le problème. « Les dieux ont été vaincus, et le Bouddha est sorti victorieux, déclara-t-il. Le Bouddha est considéré comme le souverain et les dieux comme ses ministres ; les relations entre supérieur et inférieur sont correctement appliquées, selon les règles de la bienséance, et le pays devrait donc être bien gouverné. Qu’il est étrange, alors, que le pays soit en proie à tant de troubles ! C’est avec ces pensées à l’esprit que j’ai entrepris d’examiner tous les sūtras et j’ai réalisé qu’il y avait en fait une raison à cette situation.
« Au sein des enseignements bouddhiques, une grave erreur a été commise. Parmi tous les sūtras, le Sūtra du Lotus devrait occuper la position de souverain et les autres sūtras, notamment le Sūtra de la Guirlande de fleurs, le Sūtra de la grande perfection de sagesse dans sa version longue, le Sūtra des profonds secrets et les sūtras Agama, celle de ministre, de serviteur ou de gens ordinaires. Et pourtant, l’école Sanron déclare que les sūtras de la Sagesse sont supérieurs au Sūtra du Lotus, l’école Hossō soutient que le Sūtra des profonds secrets est supérieur au Sūtra du Lotus, et l’école Kegon que le Sūtra de la Guirlande de fleurs est supérieur au Sūtra du Lotus, alors que l’école Ritsu se proclame la mère de toutes les autres écoles. Il n’y a pas un seul pratiquant du Sūtra du Lotus et ceux qui lisent et récitent effectivement ce Sūtra ont été, contre toute attente, raillés et rejetés par les gens au sein de la société15. »
Dengyō déclara donc que c’était là la raison de la fureur du ciel et de l’affaiblissement du pouvoir des divinités bienveillantes qui auraient dû protéger le pays. Il ajouta que, même si certains louaient le Sūtra du Lotus, ils en détruisaient le cœur16.
Les moines des sept temples majeurs de Nara, des quinze grands temples et de tous les temples et monastères de montagne de tout le Japon, furent absolument furieux en entendant ces propos [de Dengyō]. « Mahadeva, de l’Inde, et les moines du Dao de la Chine sont apparus dans notre pays ! — s’exclamèrent-ils. Ils ont pris la forme d’un petit moine connu sous le nom de Saichō. Si quelqu’un le rencontre, qu’il lui brise la tête en deux et lui coupe les bras, qu’il le frappe et le couvre d’injures. »
Mais l’empereur Kammu étant un souverain vertueux, il fit des recherches, perçut clairement la vérité en la matière et en conclut que les six écoles de Nara étaient dans l’erreur. Pour la première fois, il établit un temple sur le mont Hiei dont il fit le centre de l’école du Lotus Tendai. Non seulement il fonda une estrade d’ordination pour les préceptes de l’illumination parfaite et subite, mais il déclara le Sūtra du Lotus supérieur aux six écoles plus anciennes, qui étaient liées aux sept temples majeurs de Nara et aux quinze grands temples.
Ainsi, les enseignements des six écoles en vinrent à être considérés comme des moyens opportuns menant au Sūtra du Lotus. On retrouvait l’exemple des temps anciens où les dieux, s’inclinant devant le Bouddha, étaient devenus les simples portiers de la Loi bouddhique. Le Japon connut à peu près la même situation. Pour la première fois, il devint clair dans ce pays que, comme le dit le Sūtra, « [parmi ces sūtras,] le Lotus est le plus important17 ». Une personne qui « peut exposer secrètement le 999Sūtra du Lotus à quelqu’un18 », peut-on lire, est l’envoyé de l’Ainsi-Venu et, pour la première fois, cet envoyé est apparu en ce pays. Pendant une période d’au moins vingt ans, sous le règne des trois empereurs Kammu, Heizei [806-809] et Saga [809-823], sur tout le territoire du Japon, il n’y eut que des pratiquants du Sūtra du Lotus.
Mais, de même que l’existence de l’arbre eranda19, à l’odeur nauséabonde, est liée à celle du bois de santal, au parfum exquis, et l’existence de Devadatta à celle de Shakyamuni, à l’époque du Grand Maître Dengyō apparut un sage connu sous le nom de Grand Maître Kōbō. Il voyagea jusqu’en Chine, étudia le Sūtra de Mahavairochana et les enseignements de l’école Zhenyan [devenue l’école Shingon au Japon], puis revint au Japon.
Alors que le Grand Maître Dengyō était encore en vie, Kōbō s’abstint d’affirmer ouvertement que le Sūtra de Mahavairochana était supérieur au Sūtra du Lotus. Mais après la disparition du Grand Maître Dengyō, le quatrième jour du sixième mois de la treizième année de l’ère Kōnin [822], il estima apparemment que le temps était venu pour lui de déclarer cela. Ainsi, lors de la quatorzième année de l’ère Kōnin, le dix-neuvième jour du premier mois, le Grand Maître Kōbō produisit un document dans lequel il classait les enseignements du Shingon en premier, les enseignements du Sūtra de la Guirlande de fleurs en deuxième et ceux du Sūtra du Lotus en troisième. Il déclara aussi que le Sūtra du Lotus était une doctrine puérile, que le bouddha Shakyamuni était dans la région des ténèbres et que les tenants de l’école Tendai étaient des voleurs.
C’est ainsi qu’il tenta de tromper l’empereur Saga en plaçant sa propre école, le Shingon, sur un même plan que les sept écoles plus anciennes20 et en déclarant que ces dernières ne constituaient que des moyens opportuns, alors que l’école Shingon représentait la vérité ultime.
Dans la période suivante, tout le monde, dans tout le Japon, devint disciple de l’école Shingon. De plus, un disciple du Grand Maître Dengyō appelé Jikaku voyagea jusqu’en Chine où il se livra à une étude plus complète des doctrines des écoles Tendai et Shingon avant de revenir au Japon. Il écrivit des commentaires sur deux ouvrages, le Sūtra de la couronne de diamants et le Susiddhikara-sūtra, et fonda un temple appelé Zentō-in, sur le mont Hiei. Dans ses commentaires, il déclara que le Sūtra de Mahavairochana devait être classé en premier et le Sūtra du Lotus en deuxième, et, comme Kōbō avant lui, il énonça d’innombrables autres interprétations erronées. J’ai abordé quelque peu cette question dans mes lettres précédentes.
Ce maître éminent fut suivi par un autre, le Grand Maître Chishō, qui propagea ses enseignements depuis le temple qu’on appelle l’Onjō-ji. De tous les temples d’aujourd’hui, c’est celui qui me paraît causer le plus grand tort au pays.
Parmi les trois mille moines du mont Hiei, il y en eut certains qui, sans l’insistance de Jikaku et de Chishō, n’auraient jamais reconnu la supériorité des enseignements du Shingon. Mais tous furent réduits au silence et furent trompés par le Grand Maître Jikaku, également connu sous le nom de Grand Maître Ennin, et nul ne prononça la moindre parole de protestation.
De plus, le soutien apporté par le souverain et ses ministres fut encore plus grand qu’au temps de Dengyō et de Kōbō, si bien que le mont Hiei, les sept temples de Nara et, dans les faits, tout le territoire du Japon s’unirent pour déclarer que le Sūtra du Lotus était inférieur au Sūtra de Mahavairochana. Dans les divers temples où le Sūtra du Lotus avait été précédemment propagé, on vit alors se répandre les enseignements de l’école Shingon qui furent révérés comme supérieurs au Sūtra du Lotus.
Quelque quatre cents ans se sont écoulés depuis que ces dégradations ont eu lieu. 1000Les opinions erronées ont continué à se propager, et cinq souverains du Japon21, du quatre-vingt-unième au quatre-vingt-cinquième souverain, ont perdu leur trône. Au déclin de la Loi bouddhique a correspondu le déclin de la voie du souverain.
De plus, la doctrine erronée majeure connue sous le nom d’école Zen et la doctrine erronée mineure, l’école Nembutsu, ont rejoint la grande doctrine du mal, le Shingon, et ces écoles mauvaises s’accordent désormais pour distiller leur influence dans tout le pays. La Grande Déesse du Soleil a perdu tout courage et ne protège plus ceux dont elle a la charge ; le grand bodhisattva Hachiman a vu son pouvoir et son autorité sapés et a cessé de protéger et de défendre le pays. Pour finir, nous sommes voués à devenir la proie d’un pays étranger.
Dans ce contexte, moi, Nichiren, redoutant la mise en garde contre celui qui « trahit l’enseignement du Bouddha22 » et « tombera en enfer avec [ces personnes mauvaises]23 », j’ai tenté d’informer le souverain du pays de la réalité de la situation. Mais, égaré par les doctrines erronées, il refuse de me croire. Au contraire, il est devenu un ennemi juré [du Sūtra du Lotus].
J’ai beau m’efforcer de souligner que ce pays est plein de personnes qui aimeraient détruire le Sūtra du Lotus, nul ne me comprend et les gens ne font donc que perpétrer encore des erreurs insensées. De plus, un pratiquant du Sūtra du Lotus a désormais fait son apparition de sorte que les gens du Japon, au comble de l’ignorance, laissent leur haine se déchaîner et privilégient les enseignements erronés tout en haïssant l’enseignement correct. Dans un pays où les trois poisons [avidité, haine et ignorance] prévalent à ce point, comment pourrait-on connaître la paix et la stabilité ?
Au cours du kalpa de déclin se produiront les trois calamités majeures, calamités du feu, de l’eau et du vent. Et, dans le kalpa de décroissance, auront lieu les trois calamités mineures, la famine, les épidémies et la guerre. La famine résulte de l’avidité, les épidémies de l’ignorance et la guerre de la haine.
À présent, le Japon comporte quatre millions neuf cent quatre-vignt-quatorze mille huit cent vingt-huit hommes et femmes, autant de personnes différentes qui sont pourtant toutes également affectées par les trois poisons. Et ces trois poisons apparaissent à cause de leur lien créé avec Nam-myōhō-renge-kyō. Ainsi, tous ces gens se mettent en route en même temps pour insulter, attaquer, bannir et détruire Shakyamuni, Maints-Trésors et les bouddhas des dix directions. C’est ce qui suscite l’apparition des trois calamités mineures.
Je me demande aujourd’hui quel karma dans les existences passées a amené Nichiren et ses disciples à devenir des partisans du Daimoku du Sūtra du Lotus. Il me semble qu’à présent Brahma, Shakra, les dieux du soleil et de la lune, les quatre rois célestes, la Grande Déesse du Soleil, le grand bodhisattva Hachiman et toutes les divinités majeures et mineures des trois mille cent trente-deux sanctuaires de tout le Japon sont comme le roi Rinda des temps anciens, que les chevaux blancs sont Nichiren et les cygnes blancs mes disciples. Le hennissement des chevaux blancs est le son de nos voix récitant Nam-myōhō-renge-kyō. Quand Brahma, Shakra, les dieux du soleil et de la lune, les quatre rois célestes et les autres entendent ce son, comment pourraient-ils ne pas avoir un teint vigoureux et briller d’une lumière éclatante ? Comment pourraient-ils ne pas veiller sur nous et ne pas nous protéger ? Nous devrions avoir sur ce point une conviction sans faille !
Lors de la dernière cérémonie commémorative des funérailles, le troisième mois de cette année, vous avez fait don de nombreux cordons de pièces de monnaie. De ce fait, cette année, nous avons subvenu aux besoins de plus de cent moines en cette demeure de montagne, et ils peuvent 1001lire et réciter le Sūtra du Lotus et discuter de ses doctrines tout au long de la journée. En cette époque mauvaise de la Fin de la Loi, il s’agit là de la plus importante pratique bouddhique de tout le Jambudvipa. Comme vos ancêtres défunts doivent se réjouir ! Le bouddha Shakyamuni dit qu’une personne qui observe la piété filiale mérite le titre d’Honoré du monde. N’êtes-vous pas vous-même un Honoré du monde ?
La question du décès de Daishin Ajari24 est sans aucun doute bien regrettable. Mais nous devons considérer que ce qui s’est produit favorisera la propagation des enseignements du Sūtra du Lotus.
Si je parviens à rester en vie, il y a beaucoup d’autres choses que j’aimerais encore vous écrire en une future occasion.
Nichiren
Le dix-septième jour du huitième mois de la deuxième année de Kōan [1279], signe cyclique de tsuchinoto-u
Réponse à Soya Dōsō
Notes
1. Dans le processus de transformation du lait, le ghee est le meilleur des beurres clarifiés. Tiantai fit du ghee une métaphore pour désigner le Sūtra du Lotus, le plus élevé de tous les sūtras.
2. Il s’agit du lait frais, de la crème, du lait caillé, du beurre et du ghee, les cinq produits que l’on voyait comme les étapes du processus de transformation du lait en ghee ou beurre clarifié de qualité supérieure.
3. Annotations sur La Grande Concentration et Pénétration. « Ouvrir le provisoire pour révéler le lointain » est un condensé de deux doctrines : « ouvrir le provisoire pour révéler le véritable » et « ouvrir ce qui est proche pour révéler ce qui est lointain ». Le caractère chinois myō signifie « merveilleux », mais aussi « mystique » et « insondable ».
4. Ibid.
5. « Ouvrir et inclure les moyens opportuns » signifie inclure les enseignements provisoires dans l’enseignement du Véhicule Unique de la bouddhéité. Cet enseignement est contenu dans le Sūtra du Lotus. L’enseignement parfait, qui énonce le concept de l’atteinte de la bouddhéité en cette vie, apparaît aussi bien dans les enseignements antérieurs au Sūtra du Lotus que dans le Sūtra du Lotus lui-même. Cependant, les enseignements antérieurs introduisent ce concept sans indiquer comment le réaliser, alors que le Sūtra du Lotus non seulement développe ce principe mais offre aussi des exemples de personnes qui atteignent la bouddhéité par sa pratique.
6. L’expression « réalité dénuée de caractéristiques » est ici synonyme de « la réalité ultime de tous les phénomènes ». On lit dans le Sūtra aux sens infinis : « Ces sens infinis naissent d’une seule Loi et cette Loi est sans caractéristiques. Ce qui est sans caractéristiques est dénué de caractéristiques et n’assume pas de caractéristiques. Ne pas avoir de caractéristiques, être sans caractéristiques, c’est ce que l’on appelle la véritable caractéristique [c’est-à-dire la réalité ultime de tous les phénomènes]. » Nichiren déclare que « la réalité ultime » correspond à la Loi merveilleuse.
7. Cette déclaration apparaît dans le chapitre “Le Maître de la Loi” du Sūtra du Lotus.
8. Sūtra du Lotus, chap. 2. On lit : « Le Bouddha lui-même réside dans le Grand Véhicule, et embelli par le pouvoir de la méditation et la sagesse, qui vont avec la Loi à laquelle il a accédé, il utilise ce Véhicule pour sauver les êtres vivants. »
9. Animal imaginaire, pareil à un tapir qui, dans la tradition chinoise, était censé manger les cauchemars. On ignore quelle est la source de l’image utilisée ici, « le baku qui mange le fer ».
10. Le palmier à ivoire doit son nom à ses grosses graines blanches et dures comme l’ivoire. Dans le Sūtra du Nirvana, il est dit que c’est le grondement du tonnerre qui le fait pousser.
11. Auparavant, on croyait que le Japon était dirigé par les dieux (kami) et Jimmu aurait été le premier humain à régner sur le Japon, en 660 avant notre ère.
12. Elles sont de deux sortes : les mineures, comme la guerre, les épidémies et la famine, et les majeures comme le feu, l’eau et le vent. Voir glossaire.
13. Il s’agit des désastres dus à l’opposition à l’enseignement correct. Voir glossaire.
14. Sūtra du Lotus, chap. 3.
15. En fait, Nichiren résume ici ce que, selon lui, Dengyō aurait pu dire, en se fondant sur les œuvres de ce dernier.
16. Principes remarquables du Sūtra du Lotus.
17. Sūtra du Lotus, chap. 10.
18. Ibid. La citation complète est : « Si l’un de ces hommes ou l’une de ces femmes de bien est capable, dans les temps qui suivront ma disparition, d’exposer secrètement le Sūtra du Lotus 1002à quelqu’un, ne serait-ce même qu’une seule phrase, tu dois savoir que cette personne est un messager de l’Ainsi-Venu, dépêché par l’Ainsi-Venu pour mener l’œuvre de l’Ainsi-Venu. »
19. Il s’agit d’une plante qui produit de l’huile de ricin. On croyait que le parfum de l’arbre de santal pouvait dissiper l’odeur nauséabonde de l’eranda. Voir glossaire.
20. Les sept écoles plus anciennes comprennent les six écoles de Nara — les écoles Kusha, Jōjitsu, Ritsu, Hossō, Sanron et Kegon — ainsi que l’école Tendai.
21. Antoku, Gotoba, Tsuchimikado, Juntoku et Chūkyō. Durant la bataille de Danno’ura (1185), Antoku parvint au terme de sa vie alors qu’il n’était âgé que de huit ans. Il se noya en effet dans la mer après cette ultime défaite du clan Taira. En 1221, après les troubles de l’ère Jōkyū, le shogunat de Kamakura exila les empereurs retirés Gotoba, Tsuchimikado et Juntoku, et destitua l’empereur Chūkyō.
22. Sūtra du Nirvana. Voici le passage complet d’où cette citation est extraite. « Si même un bon moine voit quelqu’un détruire l’enseignement et n’y prête pas garde, s’abstient de tout reproche, ne le chasse pas ou ne le punit pas pour sa faute, alors vous devez réaliser que ce moine trahit l’enseignement du Bouddha. »
23. Il s’agit là d’un extrait de Sur les pratiques paisibles du Sūtra du Lotus de Nanyue où l’on peut lire : « S’il y avait un bodhisattva qui protège les personnes mauvaises et ne les châtie pas (...) alors, quand sa vie parviendra à son terme, il tombera dans l’enfer avec ces personnes mauvaises. »
24. Daishin était un disciple de Nichiren qui, pensait-on, faisait partie de la famille Soya. Le mot Ajari désigne un rang particulier dans la communauté des moines. Voir glossaire.